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DONNER SES CHEVEUX, C'EST DONNER UNE PARTIE DE SOI-MEME 

Entretien avec Christian Bromberger, anthropologue

 

 

 

 

 Que signifie le don de cheveux ?

 

   Donner ses cheveux, c’est donner une partie de soi-même. La chevelure représente la personne tout entière. Longtemps, les coiffeurs de nos provinces se sont d’ailleurs empressés de balayer leur salon de peur qu’une mauvaise âme ne vienne jeter un sort sur les cheveux de leurs clients.

 

   Cette association entre la personne d’une part et ses cheveux, ses poils, est très fréquente. En Afrique par exemple, la mère recueille précautionneusement dans un panier les cheveux de son enfant provenant de sa première coupe de peur que ceux-ci ne tombent en de mauvaises mains. Ces croyances sont à l’origine de plusieurs rites qui prennent pour objet ces "extensions" de la personne et visent à se l’attacher ou à lui nuire, comme le vaudou. 

 

  Le don de cheveux est donc plus qu'un don, il a une forte valeur symbolique ; contrairement à la vente de cheveux, le don est une manière de soutenir une cause précise, une personne. Un lien de proximité se noue entre le donneur et le bénéficiaire - même s'ils ne se connaissent pas - car les cbeveux sont chargés de symboles. 

 

 

 Que symbolisent-ils précisément ?  

 

   Les cheveux symbolisent les différences entre les genres, en général creusées par les sociétés. La chevelure féminine est associée à la séduction, le cheveu masculin à la force (Samson)*.

 

   Renoncement, humiliation, rébellion sexuelle, se traduisent tous par une modification de l’apparence capillaire, en soulignant la portée symbolique : tonsure des moines, rasage de la chevelure lors de l’entrée dans plusieurs ordres féminins catholiques, arrachage des cheveux à la main chez les ascètes jaïn du monde indien, tonte des femmes adultères ou ayant pratiqué la « collaboration horizontale » pendant la deuxième guerre mondiale.

 

   Comme la chevelure recouvre une partie essentielle de l'anatomie, la tête, elle attire l'attention sur cette partie expressive et singulière.

 

  Pour toutes ces raisons, la perte des cheveux est souvent ressentie comme la perte du contrôle de son image. Le "face à face avec le miroir", comme me disait une malade du cancer, est insupportable : "Je" est devenu "un autre".  Les conséquences psychologiques sont d'ailleurs loin d’être négligeables car nos sociétés sont conditionnées par les mythes, les croyances, la publicité. Etre en bonne santé, c'est avoir des cheveux solides et brillants. La chute des cheveux est donc vécue comme une malédiction, comme le symbole de la « chute » du corps dans son ensemble ; elle nous rend plus vulnérables 

 

* Selon le mythe biblique, Samson tirait sa force prodigieuse de sa longue chevelure. Dalila découvrit son secret et le rendit vulnérable en le rasant, permettant ainsi aux Philistins de le réduire en esclavage.

 

Christian Bromberger est l'auteur de Trichologiques, une anthropologie des cheveux et des poils

(Editions Bayard, 2010)

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